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Les matelas à plumes me mettent le plomb.

5 mars 2019

J’ai traversé Janvier en apnée, sous ma capuche, mon bonnet ou une grosse écharpe, tentant de rester hermétique au moindre courant d’air. Le froid est devenu insupportable à ma nuque offerte, qui arbore les stigmates de mon opération « sauve-qui-peut ». Une intervention chirurgicale réalisée 24 h après mon accident et au cours de laquelle un éminent spécialiste de la moelle épinière a renforcé sans doute ce qui pouvait l’être et rendu irréversible ce qui n’était plus. Je ne l’ai jamais rencontré ce praticien. Conscient, du moins. Suite à un entretien avorté quelques mois après l’opération, nous n’avons jamais repris rendez-vous et je n’ai plus jamais entendu parler de lui ni de cette intervention. A quoi bon ?, me suis-je dis à l’époque. Pourquoi cela éveille t-il ma curiosité aujourd’hui, cinq ans plus tard, je ne saurais le dire.

Cette longue période en clair-obscur m’a été finalement moins pénible que d’habitude. Comme espéré, mon escarre s’est totalement résorbé aux premières lueurs de 2019, contrairement à une autre plaie jaune populo-sociale aux contours flous et infectés et aux relents douteux. Le séant restauré, je me réfugiai dans la valeur travail, investissant un nouveau bureau parmi de nombreux nouveaux collègues, regroupement d’entreprises oblige. Lorsqu’on ne parvient plus à retenir tous les prénoms de ses collaborateurs, on entre un peu en zone inconnue. Pour eux, c’est plus facile, je reste le seul salarié à roulettes.

Cependant, la morne existence du tétraplégique n’est jamais vraiment exempte de rebondissements réguliers. La première surprise de cette année 2019 se manifesta fin janvier sous la forme d’une montée soudaine et régulière de l’intensité de mon état spastique. Conséquence directe d’une infection urinaire ou d’un problème cutané, cela s’était déjà produit dans le passé sans que je m’en inquiète. Je demeurai donc zen même quand cet état vint à affecter mon sommeil. Un rythme cardiaque trop élevé ou des soubresauts permanents d’un pied ou d’une cuisse me tenaient parfois éveillé une bonne partie de la nuit. Insomnies généralement  agrémentées d’un état érectile quasi permanent et flatteur, mais qui peut être assez gênant en présence d’un tiers. La situation continua d’empirer le week-end suivant. Le dimanche après-midi, j’étais capable de lever mes jambes à l’horizontale en les stimulant un peu préalable, jouant la scène du miracle devant ma fille Romane, impressionnée. Le soir venu, la position couchée ne s’avéra pas libératrice, au contraire. Les deux tiers du corps agité de spasmes violents, une méga tension artérielle me provoquait des maux de têtes insupportables et, avec un rythme cardiaque bloqué à 120 pulsations, pas question de trouver le sommeil. Seule la position assise m’accordait un peu de répit. A minuit, je dus me rendre à l’évidence, il y avait un truc qui déconnait. A 1 heure du mat, le temps d’annuler tous mes rendez-vous du lendemain, Chloé et moi faisions notre entrée en loucedé au pavillon rez de jardin de l’hôpital Neurologique, que l’interne de service nous avait enjoint de rejoindre rapidement.

Premier diagnostic : ma pompe à baclofène, implantée sous la peau de mon ventre par ce même service il y a quatre ans, et qui permet de « diffuser en permanence du myorelaxant dans la moelle épinière, inhibant les réflexes mono- et polysynaptiques et donc favorisant la relaxation des muscles squelettiques » présente un dysfonctionnement manifeste provoquant un sevrage violent et potentiellement dangereux. L’interne procède à une vidange et un boost de la pompe, qui est sans doute bouchée, m’administre du baclofène par voie orale en attendant mieux, et m’invite à passer la nuit dans le service, en prévision d’autres examens le lendemain. Ravi d’improviser un séjour dans cet environnement qui m’avait tellement manqué, je suis une infirmière un peu lasse jusqu’à ma chambre. Avec le peu de lucidité qu’il me reste, sortant tout juste d’un problème cutané aigü, je lui demande si mon lit dispose d’un matelas à mémoire de forme. « On n’est pas au Club Med ! » me répond t-elle. Un mois après cette scène, je ne reviens toujours pas de cette réponse. Sans être au Club Med, nous sommes accessoirement dans un service qui soigne majoritairement des blessés médullaires, population particulièrement sujette aux problèmes cutanés et le matelas anti-escarre me parait le minimum préventif pour ne pas prolonger le séjour hospitalier. J’insiste donc, mais il n’est pas possible d’accéder à ma demande à cette heure avancée. On verra le lendemain. Je passai deux nuits sur ce lit sans qu’on en change le matelas. Je réitèrai pourtant plusieurs fois ma demande auprès d’une nouvelle infirmière qui oublia systématiquement de passer la consigne à la suivante. Si la première nuit fut compliquée, j’aurais pu vraiment me reposer la suivante si je n’avais oublié que le personnel hospitalier, s’il est parfois peu réactif face aux nécessités personnelles, est en revanche très attentif à votre bien-être. Je crois qu’une personne est passée toutes les deux heures dans ma chambre pour me demander si tout allait bien et si je n’avais besoin de rien. Si, si : de dormir et accessoirement d’un matelas anti-escarre. Les radios n’ayant décelé aucune anomalie technique et mon état étant revenu à la normale, je fus libéré 36 heures après mon entrée. Le soir même à mon domicile, mon aide soignante fut surprise de découvrir mon sacrum affublé d’une brûlure importante, résultat de 36 heures allongé sur un matelas inadapté et qu’aucune personne de l’hôpital – Elles étaient trois pour ma dernière séance toilette/habillage – n’a cru bon de me signaler. Il m’aura fallu appliquer durant un mois un pansement sur cette brûlure tenace et relouer un matelas à air (fort bruyant) pour réussir à en venir à bout. Merci qui ?

Fort heureusement, après cette nouvelle galère et trois mois sans soleil, comme une consolation, nous connûmes quinze jours de printemps en plein mois de février.

Quel bonheur de retrouver cette lumière, cette chaleur et ces rayons bienfaisants.

Ces heures passées dans mon jardin, supervisant la taille de la végétation et engloutissant de bons livres, furent une délivrance. Vivement le vrai printemps. Côté moral, les voyants restent globalement au vert. Même s’il est tout de même paradoxal et complexe de vivre avec un esprit débridé, entre insouciance, curiosité et irrévérence sans filtre, dans un corps de vieillard grabataire. Pas toujours simple de s’y épanouir et d’avoir des projets. Malgré tout, il faut noter que je continue d’avancer. Lentement, mais sûrement. Tenez, par exemple, je progresse encore en matière d’aisance ergonomique. Avec Agathe, notre passion commune pour les puzzles ou le jeu des 7 familles me font forcément évoluer en termes de manipulation des petits objets. Je demeure moins à l’aise avec les perles ou les legos, il faut le reconnaître. En ce qui concerne mon quotidien, j’ai opté depuis longtemps pour différents équipements ou outils qui me simplifient considérablement la vie : tablette tactile, sondes urinaires pockets, clefs ergonomiques, lanière reliée à mon IPhone, anneaux pour mes différentes fermetures éclairs, tasse à grosse anse, fourchette light, rasoir électrique, braguette scratch, brosse à dents électrique…

Pour cette dernière option, qui m’a sauvé la vie dès 2014, attention tout de même à ne pas échapper l’objet en plein brossage, comme cela m’arrive encore régulièrement, afin de ne pas arriver constellé de dentifrice au bureau.

Côté projets, le chantier de la grande terrasse en Bourgogne est lancé et je fomente un nouvel investissement immobilier. Au chapitre professionnel, je n’ai sans doute jamais été plus motivé depuis mon retour aux affaires. Cela tombe plutôt bien car je vais avoir besoin de muscler un peu mon jeu.

A propos de muscles, la salle SPORT de notre association ANTS est enfin et totalement équipée et opérationnelle. Je vais donc y passer, chaque fois que ce sera possible, tous mes mercredis après-midi, en compagnie de nouveaux adhérents véhiculés en reconstruction.

Enfin, j’espère toujours récupérer mon Handbike (voir photo), commandé il y a 19 mois, pour les beaux jours. Pour l’heure, celui-ci est porté disparu entre Villefranche-sur sur Saône et Dotternhausen, en Allemagne, où l’on devrait procéder à un changement de moteur électrique. Je veux bien considérer que nous autres handicapés ayons un rapport au temps différent, mais je me demande parfois si ça n’aurait pas été plus rapide de commander un exo-squelette WiFi sur mesure en Corée du Nord.

« Et au milieu de l’hiver, j’ai découvert en moi un invincible été ».

Albert Camus, l’étranger.

Par Michel Sorine

Michel Sorine

Ex sportif du dimanche et directeur d’Extra-Sports la semaine, il est également tétraplégique depuis 2014. Ce blog raconte l’histoire de sa nouvelle vie.

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Il y a 5 commentaires

  • Philkikou le 05.03.2019 à 21h41

    ..et dire qu’avec une petite grippe je suis au 36° dessous !
    Beaucoup de voyants, de choses à surveiller, pour pas qu’un petit grain de sable ne vienne te pourrir la vie…..

  • Clacla le 06.03.2019 à 19h16

    Dans les progrès notables, tu oublis d’évoquer ta sociabilité qui s’améliore encore, ton cerveau et ta plume qui s’acèrent de plus en plus, ta culture qui s’étend… J’arrête là pour ne pas amplifier tes problèmes de circulation dans les chevilles mais j’ajoute quand même que ton niveau de résilience, aujourd’hui à 55 ans, est particulièrement exceptionnel. Ce dernier texte est là, s’il fallait prouver quelque chose….
    Bon anniversaire, mon Mimi, je suis assez confiante en ton avenir musclé.
    Je t’embrasse

  • fangan le 07.03.2019 à 18h14

    Quelle vie ! que tu nous fais partager toujours avec tant de réalisme. Et je suis toujours stupéfaite par la drôlerie, la tendresse, la poésie, la cruauté de tes propos. 5 ans ont passé. Quelle évolution, quel changement. Chapeau bas Monsieur! je t’embrasse Michel . Le printemps est bientôt là…. je l’attends aussi avec impatience.

  • Marc Liaudon le 09.03.2019 à 12h04

    Merci Michel pour tous ces posts que je lis depuis bientôt 5 ans, c’est-à-dire depuis le début de votre aventure, car c’en est une vraie que vous vivez là, une aventure à laquelle personne ne s’attendait évidemment, et que vous racontez formidablement. Et moi qui suis cycliste et suis de votre génération ou à peu près, quand j’ai un genou qui grince ou une baisse de moral, je pense à vous et le genou grince moins et le moral est meilleur.
    Continuez, à progresser et à nous régaler !
    Toutes mes amitiés.

  • le coach le 11.03.2019 à 13h25

    Bonjour Michel, tu es vraiment incorrigible ! malgré mes nombreuses mises en garde, tu continues à te complaire dans une recherche obsessionnelle et égoïste de confort et de raffinement. Et tu continues à formuler des demandes exorbitantes chaque fois que tu arrives à l’hôpital. Monsieur veut un matelas sur mesure !! un matelas à mémoire de forme de surcroît. Autrement dit ce qui se fait de mieux puisque cette technologie est issue de l’aéronautique. Je me mets tout à fait à la place des gens de Neuro. Si on te dit oui ça crée un précédent délicat et c’est la porte ouverte à tous les ennuis. Plus rien ne t’arrêtera après. Monsieur exigera un oreiller à mémoire de forme « qui s’adapte parfaitement à la forme de sa nuque ». Monsieur se plaindra « du niveau de viscoélasticité ou de thermo-sensibilité de son matelas, etc ». Bref il rendra la vie impossible à l’encadrement hospitalier et perturbera un mode d’organisation disruptif, agile et réactif parfaitement huilé et des méthodes de travail qui ont largement fait leurs preuves.
    Après une opération du genou en ambulatoire j’avais moi-même eu l’outrecuidance de demander une paire de béquilles pour rentrer chez moi le soir. L’institution m’avait gentiment fait comprendre que ma demande atypique n’avait pas été envisagé et que je devais me débrouiller par mes propres moyens.
    Non, crois-moi, la prochaine fois que tu es confronté à un problème de pompe bouchée, le mieux c’est un plombier chauffagiste. J’en ai parlé au mien qui n’a pas été choqué. Il lui arrive d’avoir des demandes un peu atypiques et il s’efforce au maximum d’y répondre vu qu’en tant qu’artisan il y est un peu obligé s’il veut continuer à nourrir sa famille…

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