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Quatre ans plus loin

3 avril 2018

Le 1er avril 2014, je laissais croire à mes proches et à mon entourage que je pourrais remarcher un jour. Avec le recul, il s’agissait d’une blague d’assez mauvais goût.

Quatre ans plus tard, je mesure le chemin parcouru…en fauteuil. Quatre ans sans marcher, mais également sans se tenir debout, sans monter sur un vélo, sans skier, sans nager, sans passer 20 mn aux toilettes avec un magazine, sans orgasme, sans abdos, sans beaucoup d’espoirs …, mais sans migraine. Il faut voir le bon côté des choses. Quatre ans à apprendre progressivement à se passer de tout ça. Quatre ans, c’est long. Un peu comme cet hiver qui n’en finit pas et m’oblige à m’accrocher à ma vie intérieure.

Stephen Hawking vient de mourir. Lui est resté cloué plus de 50 ans dans son fauteuil roulant et s’exprimait via un ordinateur. Pas cool ! Ça ne l’a pas empêché de devenir une star mondiale de la science, consacrant son existence apparemment peu enviable à tenter de percer les secrets de l’univers et à populariser l’astrophysique. Lucide, il affirmait : « Je suis certain que mon handicap a un rapport avec ma célébrité. Les gens sont fascinés par le contraste entre mes capacités physiques très limitées et la nature extrêmement étendue de l’univers que j’étudie ». Ce jouisseur clamait son athéisme, prévenant ceux qui misent tout sur la suite que Dieu n’existe pas, que personne n’a créé l’univers et personne ne dirige notre destin. « j’ai compris cela : il n’y a pas de paradis ni de vie après la mort. Nous n’avons que cette vie-ci pour apprécier le grand schéma de l’univers, et j’en suis extrêmement reconnaissant ». Il risque de nous manquer cruellement.

Si la majorité des valides considèrent que passer sa vie en fauteuil équivaut à l’enfer sur terre, ce qui est très exagéré, il n’y a donc pourtant pas à espérer mieux dans une vie d’après. N’étant pas moi même captivé par le big bang, à quoi pourrais-je consacrer le reste de mon existence éphémère, avec des capacités intellectuelles bien en deçà de celles de Stephen Hawking, et des capacités physiques à peine plus développées? Victoria, ma fille, me faisait remarquer que je m’intéressais désormais davantage aux humains qui m’entourent. C’est sans doute vrai, car j’ai, de fait, beaucoup plus de temps à leur consacrer.

Être à l’écoute de mes amis, de mes infirmières, de mes aide-soignantes, de mes chauffeurs Optibus, de mes amis sur Facebook, de mes collègues de travail et de mes pairs à roulettes est devenu une activité à part entière. Avec tout de même quelques limites. J’ai réussi à esquiver l’après-midi festif avec tous les autres « usagers » de l’antenne villeurbannaise de l’Association des Paralysés de France, organisé en mairie d’arrondissement pour la Chandeleur, avec crêpes à volonté et groupe folklorique breton. De même, j’évite d’échanger mon 06 avec l’intérimaire habitué aux Ehpad qui me hurle dans les oreilles à l’aube, m’appelle « chef », se croit obligé de me parler exclusivement du contexte météorologique et m’avoue au final ne pas savoir faire des lacets (véridique). Faut pas abuser…

Mais je me re-sociabilise notablement en acceptant de nouveau les invitations à dîner chez des voisins. Même si mon statut d’homo rouletrus donne souvent lieu à des situations cocasses. Tables trop basses, enfants curieux ou effrayés, marches non prévues ou portes trop étroites…La palme revient à la famille qui vous accueille en pantoufles et vous invite à vous déchausser, scrutant toute la soirée vos pneumatiques douteux avec dégoût, ou ceux qui vous font traverser leur jardin humide afin que vous pourrissiez correctement leur beau parquet avec vos roues maculées. Heureusement, ma famille, le travail, la lecture et le cinéma occupent toujours une place centrale de cette vie nouvelle. A propos de 7eme art, dans la série films à thème, le dernier film de Gus Van Sant “Don’t Worry, He Won’t Get Far on Foot”, sort demain sur les écrans. Ce biopic, basé sur les mémoires du cartooniste paraplégique John Callahan, avec Joaquin Phoenix dans le rôle titre, est prometteur. Et je n‘ai toujours pas vu le film espagnol « Vivir y Otras Ficciones », de Jo Sol, qui a bénéficié de bonnes critiques malgré un sujet gonflé : la sexualité des handicapés. Entre documentaire et fiction, Jo Sol imagine deux hommes, l’un tétraplégique, l’autre sorti d’hôpital psychiatrique, qui s’associent pour créer un lieu de plaisir pour les oubliés.

Je connais personnellement plein de camarades que cette perspective égayerait…

En attendant le lupanar, le projet de salle d’APA (Activités physiques adaptées), porté par mon ami Vance et notre association ANTS, avance à « grands pas ». J’ai pu visiter les locaux réhabilités mis à disposition par l’ENS à Gerland et cela m’ouvre à très court terme de nouvelles perspectives sportives. Avant son ouverture prévue en septembre, je vais procéder début avril aux premiers essais de mon Hand-bike, commandé cet hiver, et dont je compte bien profiter cet été sur les petites routes bourguignonnes. Finalement, à quelques différences près, il faut bien continuer d’avancer. Comme le formule si bien Agathe, qui m’a toujours connu véhiculé : « Moi, je marche avec mes pieds, et mon papa avec ses roues. »

Par Michel Sorine

Michel Sorine

Ex sportif du dimanche et directeur d’Extra-Sports la semaine, il est également tétraplégique depuis 2014. Ce blog raconte l’histoire de sa nouvelle vie.

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Il y a 18 commentaires

  • MS le 04.04.2018 à 19h37

    Paradoxalement, en 24 h, ce billet est celui qui a le mieux marché sur Facebook avec près de 5 000 personnes atteintes et de nombreux commentaires et là, sur le blog, néant, aucun commentaire.
    Les usages évoluent.

  • Andre le 04.04.2018 à 21h21

    Bonsoir. Je suis toujours ému à la lecture de vos billets. Merci d’écrire, sur facebook ou sur ce site.

  • Marie Pierre le 04.04.2018 à 23h42

    Bonsoir,
    Je ne vous ai jamais écrit alors que je suis une lectrice assidue de votre blog. J’aime votre plume acérée, votre auto dérision et votre regard lucide sur ce qui vous entoure.
    Je vous sens plus en paix dans ce billet et cela me fait sincèrement plaisir. Vivement le nouveau vélo et la salle de Gerland alors !
    Bonne nuit
    Marie

  • Bikoon le 05.04.2018 à 8h18

    Bonjour Michel,
    n’utilisant Facebook qu’avec parcimonie ; et même si je ne commente quasi jamais, je lis toujours tes billets via ton blog, et pense très souvent à toi / ta nouvelle situation lors de mes escapades en nature.
    Merci une nouvelle fois pour ton optimisme, ton esprit et ton humour

  • Arnaud le 05.04.2018 à 8h33

    Bonjour,
    Afin de montrer que ce blog est tout aussi utile que Facebook, premier message de ma part.
    Toujours aussi agréable de vous lire.
    Bonne journée

  • Damien le 05.04.2018 à 17h51

    Bonjour,
    Je suis également un lecteur de vos billets via le blog.
    Je n’ai pas de compte Facebook…
    Merci pour vos analyses, votre lucidité,…

  • muriel le 05.04.2018 à 23h13

    Bonjour, je ne vous ai jamais écrit non plus, bien que j’ai lu tous vos billets. Continuez à nous bousculer, nous qui avons, soi-disant, les pieds sur terre. Arnaud, le commentateur précédent, a raison: il est utile votre blog. Bref, continuez, et continuez tout!

  • Clacla le 06.04.2018 à 16h35

    Pour tes quelques amis un peu périmés qui n’ont pas de compte fesse bouc, merci de continuer à publier sur ton blog.
    Et pour tes ami(e)s non sportif(ve)s* dont je fais partie, Victoria a raison, c’est beaucoup plus facile d’échanger avec toi. Il a fallu que tu sois en fauteuil pour rester assis à table tout un repas! Quant à ce temps libre qui te semble bien long l’hiver, je n’en rajouterai pas une couche sur le thème « Tu devrais écrire, publie tes textes etc…. », je le fais à chaque commentaire. Même si ce texte bilan est particulièrement bien tourné avec une once d’optimisme pas si courante dans tes écrits, je n’en parlerai plus!
    Je t’embrasse et tu me manques.

  • Clacla le 06.04.2018 à 16h36

    *C’est dur l’écriture inclusive!

  • Clacla BM le 08.04.2018 à 22h06

    Bon, je me suis fait doubler… Merci Mim pour tes news. Je t’embrasse 😉

  • Philkikou le 10.04.2018 à 5h48

    Comme Bikoon je vais sur Facebook avec parcimonie, du moins j’essaie.. et je mets toujours quelques jours entre la lecture de tes billets et un commentaire sur ton blog…
    La sortie de l’hiver (enfin pour tout le monde, et je pense encore plus pour toi ), la digestion de tous les « sans » avec qui il faut faire avec, et s’apercevoir que l’on a des « avec » qu’on prend plus le temps évidemment au début par obligation (résumé par le commentaire de Clacla 😉 .. ont l’air de te faire avancer vers plus de zénitude .. Bon printemps à toi en profitant de la nature qui s’éveille et du soleil
    -Je finirai par quelques phrases / citations lues lors de la visite de la demeure du chaos à St Romain au Mt d’Or :
    -« Finalement quand on voit ce qui peut-être fait au nom de Dieu, on se demande ce qu’il reste au Diable comme activité ?

    -« Les espèces qui survivent ne sont pas les espèces les plus fortes ni les plus intelligentes, ce sont celles qui s’adaptent le mieux aux changements »

    -« Les 3 choses qui me cassent les couilles le matin :
    -Les gens qui parlent dés le matin
    -les gens
    -le matin

  • Sandrine le 13.04.2018 à 15h31

    Présente !!
    Je partage et » j’aime » sur FB mais je reste une habituée de ce blog …blog que tu devrais peut être envisager de rebaptiser ?!
    Légume n’est plus d’actualité, non ?
    Bon entrainement en hand-bike.
    Bises

  • Gisèle Bertrand le 15.04.2018 à 8h07

    Ha ben c’est cool tu restes positif ça me plait et en plus tu continues de découvrir les autres, tu vois les humains ne sont pas tous des spécimens identiques non non il y a des variantes plus ou moins agréables mais passionnantes si on les écoute et que l on accepte les différences. Pour les essais de ton Handbike pense a ton Omar .

    Des bises

    Gis

  • tarel le 21.05.2018 à 8h35

    Bonjour,

    Je lis sur votre blog avec toujours beaucoup d’intérêt (et un peu de « retard ») vos billets démonétisés mais jamais sans valeur.

    Je vous avais sollicité (voire harcelé en tout bien tout honneur) au début des années 2010 sur la pertinence d’un « run and bike » lyonnais et populaire, une « ancilevienne » sur les berges idoines du Rhône.

    Quelques années plus loin, je suis toujours convaincu de la pertinence de cette organisation et je dispose désormais d’un peu plus de temps pour vous aider à la mettre en oeuvre !

    Laurent

  • Lidwine le 25.05.2018 à 10h27

    Pour tous les gens qui résistent à Facebook et n’ont pas de compte… longue vie à ce blog ! Je serais bien en peine de pouvoir continuer à te lire si tu le fermes 🙂
    Il est cool ce billet, et depuis, en plus, l’été commence à arriver vraiment… on s’était dit qu’on se ferait une terrasse… Je t’envoie un message tout de suite !
    Grosses bises, à bientôt 🙂

  • Pierre LANSAC le 27.05.2018 à 10h36

    Bonjour Michel
    Chaque mardi dans le cadre d’une association (Lire et Faire Lire), je fais des lectures à haute voix à des élèves de CM…
    J’avais envie de leur lire ta liste des « privilèges induits » de ta situation, mais d’abord sans leur dire quelle est cette « situation »… Et ensuite en les faisant réagir et enfin en les informant.
    J’envisage tout de même de supprimer ton article 3…
    M’y autorises-tu ?
    J’ai le sentiment que cela pourrait leur faire découvrir que les circonstances de la vie peuvent faire grandir.

  • fanfan le 04.06.2018 à 22h00

    Tu écris toujours aussi bien. Tu nous montres des photos. C’est super! Quelle transformation . Tu sais il y a quelques années j’ai écrit un roman qui s’appelle « les maisons bleues » (non publié) . C’est l’histoire d’un ado qui tombe dans un escalier, qui reste dans le comas pendant plusieurs années et qui revient … à la vie en fauteuil roulant. A l’époque j’ai tout imaginé ne connaissant personne suffisamment intimement pour questionner. Chaque fois que je te lis, je pense à mon héros en fauteuil. Il a aussi un enfant, un fils, qui l’appelle : Paparou. Ça me touche tellement ce que tu dis. Merci encore. Je t’embrasse .

  • 2nis le 20.11.2018 à 9h17

    J’aime cet humour renversé, retourné contre soi. Tu écris admirablement bien où la franchise est évidente. Une vraie belle transformation réussie, provoquée dans ta vie et dont tu peux être fier. L’homo rouletrus, quelle imagination en auto dérision ! … le paparou ……

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